Je regarde la vie, je me demande comment font les autres, je me demande s'ils se posent autant de questions, s'ils savent pourquoi, eux. Ou s'il n'y a que moi à ne voir que du fade, du terne, du morne, à ne voir la vie qu'en noir et gris. A observer la vie sans participer, à observer la vie en haussant les épaules.
L'avenir, ou disons la suite, n'est qu'un vaste point d'interrogation, un trou noir sans projet ni but. Pas de moteur pour avancer, et à nouveau les questions, qu'est-ce qui pousse les autres à vivre ? Se demandent-ils pourquoi ? Ont-ils cette noirceur sale dans les veines, cachée quelque part, ou n'est-ce que le lot des fous ?
Les idées noires sans cesse là sous le front, qui tournoient et murmurent que ça serait tellement plus simple de tout laisser tomber plutôt que de se battre, croire naïvement que les thérapies changeront quelque chose à toute cette mascarade. Je ne veux plus me coucher le soir ni me lever le matin. Je rêvasse d'une vie où l'on pourrait nous plonger dans le coma sur demande. Ca serait un bon compromis.
Combien d'années désormais ? Combien d'années à avaler des régulateurs d'humeur, neuroleptiques, anxiolityques, antidépresseurs, combien d'année que le désespoir est officialisé ? Onze. C'est long, onze ans. Combien encore à venir ? D'années similaires, pour dans dix ans, me poser encore et toujours les même questions, quelques rides en plus, quelques années de sursis.
Si seulement il n'y avait personne autour. Personne qui ne serait affecté si je décidais de me barrer. Parfois je repense aux tentatives de suicide. Et je me dis, si ça avait fonctionné, je n'en serais pas encore au même stade. Là, à me demander pourquoi, pourquoi se forcer, pourquoi vivre, pourquoi c'est si compliqué.
Je suis autant effrayée par la vie que par la mort. Ou disons, la souffrance. La souffrance de se lever chaque matin, la souffrance ultime si je cédais.
La souffrance, toujours, partout, jusqu'à la fin. Il n'y a qu'elle en permanence, sous des formes qui varient. Mais je la reconnais. Elle n'aura jamais disparu.
Toujours les impulsions, les coups de tête, les émotions si fortes que j'implose, que je craque. Je sens la folie qui s'infiltre, j'attends que l'épicerie ouvre pour boire. Arrive un moment où l'on a beau savoir que "la souffrance sait nager", le fait est qu'oublier qui l'on est quelques heures, c'est essentiel. J'ai avalé quelques anxios, au hasard, et constaté que ça ne me fait plus rien, ou alors ça fait juste bien rire mon organisme.
Parfois, je voudrais re-signer pour des électrochocs, juste pour la violence de l'acte. J'aimerais comme avant martyriser la chair, j'aimerais m'autoriser les extrêmes, cesser de prendre sur moi, et faire tout et n'importe quoi. Essayer de me sentir vivante. Juste un peu. Ne plus prendre ce traitement qui m'a déchirée, annihilée. Fuir le vide du thymorégulateur. Respirer, reprendre mon souffle.
Les humeurs étaient violentes, certes. Mais elles me faisaient me battre contre quelque chose, elles étaient vives, palpables. Aujourd'hui ne reste que le vide tout autour de moi.
Je récite ma vie tel un de ces poèmes à la con qu'on apprenait à l'école. Ma vie par bribes qui ne veut plus rien dire, ma vie qui n'a pas de clefs, ne cherchez-pas, il n'y a jamais eu d'avant, d'après, la gamine voulait déjà crever avant ses dix ans, on aurait dû l'abattre. On cherche, je ris jaune, on cherche quoi ? On croit quoi ? Que je vais subitement me passionner pour mon existence ? Ils croient qu'on s'en sortira, qu'on trouvera, et je me sens tellement naïve de parfois y croire : je vais changer. Ils ont peut-être raison.
Pourquoi serait-ce à moi de changer ? Et devenir quoi au juste ?
Je me pose trop de questions. Je n'aurai jamais de réponse au pourquoi. Qu'est-ce qui pousse les autres à vivre ? Pourquoi la mort est si alléchante, ensorcelante, permanente ? Ce n'est qu'une question de temps.
Je m'en veux de les croire. Accrochez-vous. Il y a de l'espoir. Peut-être que ce n'est pas moi le problème. Peut-être que tous ceux qui vivent avec insouciante sont cinglés. J'ai le pessimisme triste. Heureusement que quelque soit le temps du supplice, il y aura le repos éternel, tôt ou tard.